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Chroniques
Turandot
opéra de Giacomo Puccini
Une centaine de kilomètres sépare Liège de Bruxelles, ville où s’éteint Giacomo Puccini, le 29 novembre 1924. Il y arrive trois semaines plus tôt, afin de suivre une radiothérapie destinée à combattre un cancer de la gorge qu’on vient de découvrir. Dans ses valises, le manuscrit de Turandot l’accompagne, que le musicien compte mener à terme. Malheureusement, la mort le surprend après avoir écrit celle de Liù, et quelques esquisses du duo d’amour ainsi que du final. On sait que Franco Alfano (1875-1954) va, bien avant Berio [lire notre critique du DVD], proposer un dénouement orchestral à l’opéra en trois actes qui verrait le jour le 25 avril 1926, au Teatro alla Scala (Milan). À l’instar du bouillant Toscanini qui posa sa baguette le soir de la première, cette nouvelle production liégeoise (six représentations, du 23 septembre au 4 octobre) choisit de conserver les notes seules du compositeur de Tosca [lire notre critique du DVD].
Fidèle serviteur de Puccini [lire notre critique du DVD Edgar et Manon Lescaut], José Cura, l’est ici à plus d’un titre. En effet, si l’on connait l’Argentin pour son art lyrique, on ignore peut-être qu’il compose, dirige l’orchestre et pratique la mise en scène depuis bientôt dix ans. Il le fait avec sérieux et intelligence, comme le prouve la brochure de salle qui met en relation l’histoire de la princesse de glace, redécouverte « quand la psychanalyse moderne s’est affirmée en tant qu’instrument de connaissance », avec un créateur qui fut toujours très sensible au féminin. Et Cura de s’interroger : « est-ce possible que la raison pour laquelle il n’acheva pas l’œuvre, au-delà de sa maladie, ait été un sentiment très personnel de malaise devant le “règlement de compte” entre le Moi masculin et le Moi féminin, que représente le dénouement de Turandot ? »
En référence à la fable originale, riche d’enseignement, il convoque un groupe d’enfants qui, par ses activités ludiques à l’avant-scène (peinture, Lego, etc.), annoncent l’ouvrage avant d’y participer (« Dal deserto al mar »). Loin de s’étaler comme ailleurs [lire notre chronique du 28 mai 2005], notre « petite » Ville Impériale s’élève vers les cintres pour placer le chœur dans des galeries latérales et enfouir ses cachots sous les planches, d’où ne dépasse que le torse des prisonniers – créant une caisse de résonnance ingénieuse autant que symbolique. Tandis que les élèves déguisent en Mandarin leur professeur, trois complices, incarnant d’ordinaire des masques de Commedia dell’arte, vont aussi relier réalité et fantaisie, grimés en Ministres. Ils sont la touche comique (sabre phallique, tee-shirt Spiderman, etc.) qui fait respirer dans la cité fastueuse et morbide éclairée avec une variété opportune (Olivier Wéry).
Vêtus sans kitsch exotique (Fernand Ruiz), de solides chanteurs entourent José Cura (Calaf), ténor d’une santé sans faille, bouleversant de tendresse lorsqu’il murmure à l’oreille cruelle (« Dimmi il mio nome »). Le rôle-titre est tenu par Tiziana Caruso, soprano dramatique souple et onctueux. Musetta jadis, la Nord-américaine Heather Engebretson (Liù) intéresse par une énergie cristalline prometteuse. Chez Luca Dall’Amico (Timur), on apprécie vaillance, agilité et grand souffle. Le trio de Ministres réunit l’incisif Patrick Delcour (Ping/Pantalone), familier de la scène wallonne [lire nos chroniques du 14 avril 2016, du 5 février 2015 et du 11 juin 2013], Xavier Rouillon, d’agréable rondeur (Pang/Balanzone), et Papuna Tchuradze (Pong/Arlecchino) au chant ferme et bien projeté. Roger Joakim (Mandarin) et Gianni Mongiardino (Altoum) complètent la distribution, de même que l’efficace chœur maison, hardi à souhait, préparé par Pierre Iodice.
Paolo Arrivabeni est le maître talentueux d’un orchestre aux pupitres bien différenciés, à l’aise avec la sauvagerie initiale (épisode du Prince de Perse) comme dans la sensualité de scènes plus intimes. Il sublime une production que les auditeurs de Musiq’3 découvriront en direct le 1er octobre prochain – production dédiée par son ancien partenaire, ainsi que par la direction qui la choisit comme Desdemona en 2011, à la divine Daniela Dessì, disparue le 20 août dernier.
LB